
Pauvreté à Madagascar
Aux origines de nos difficultés
Madagascar : une pauvreté structurelle aggravée par l’absence de réformes
1. Une économie dominée par l’agriculture et la subsistance dès l’indépendance
À l’aube de l’indépendance en 1960, l’économie malgache présente une structure profondément déséquilibrée, héritée du système colonial. L’agriculture constitue alors la pierre angulaire du PIB national, représentant environ 55 à 60% de la richesse produite. Ce secteur emploie plus de 80% de la population active, la majorité de la population vivant en milieu rural et pratiquant une agriculture de subsistance.
Les principales productions agricoles sont le riz (aliment de base du pays), la vanille, le café, le girofle, le coton, la canne à sucre et divers produits d’élevage. L’économie d’exportation repose essentiellement sur la vanille (Madagascar est déjà le premier producteur mondial à cette époque), le café et le girofle, dont les recettes constituent la principale source de devises.
« …elle restait avant tout marquée par l’impulsion donnée… c’était une économie de subsistance où la culture ne portait que sur 2,4% de la superficie totale de l’île. Les colons s’étaient surtout établis sur les côtes Est et Nord-Ouest, où ils se livraient, sur une petite échelle… à la culture de la vanille, de la girofle, des plantes à parfum et surtout du caféier… »
— Jean Defos du Rau, 1959
Le secteur industriel demeure embryonnaire, limité à 11 à 13% du PIB. L’industrie consiste principalement en activités agroalimentaires (transformation du sucre, du riz, des huiles), avec une absence quasi-totale d’industrie lourde ou de production manufacturière à valeur ajoutée.
Le secteur tertiaire (services, administration, commerce) représente environ 25 à 30% du PIB, mais reste peu développé, centré sur des services commerciaux liés à l’export et largement contrôlés par des opérateurs étrangers (principalement français ou indo-pakistanais).
2. Un système fiscal inadapté, hérité du colonialisme
La fiscalité à l’indépendance repose majoritairement sur des dispositifs hérités de la colonisation. L’impôt de capitation (ou impôt de tête) constitue la principale ressource fiscale, frappant indistinctement les adultes malgaches, principalement en zone rurale. Ce système, conçu à l’origine pour financer l’administration coloniale, est inéquitable et pèse lourdement sur les populations les plus pauvres.
Les recettes fiscales proviennent surtout de la fiscalité indirecte : taxes à l’exportation (sur la vanille, le café, le girofle), droits de douane sur les importations, taxes sur la consommation. La fiscalité moderne (impôt sur les sociétés, impôt sur le revenu) est quasiment absente, limitant la capacité de l’État à financer son développement sur une base équitable.
« …Le financement de l’État dépend surtout de la capitation et des taxes sur l’exportation des cultures de rente, tandis que la fiscalité moderne (impôt sur le revenu, bénéfices) reste marginale… »
— Georges Bastian, 1961
À la veille de l’indépendance, les recettes fiscales représentent 16 à 18% du PIB, chiffre qui traduit la faiblesse de l’assiette fiscale et l’incapacité de l’État à moderniser son système.
3. Un des pays en voie de développement dès 1960
En 1960, le revenu annuel moyen par habitant se situe entre 100 et 120 dollars US (soit 60 000 à 70 000 francs CFA de l’époque), selon les estimations de la Banque mondiale et les statistiques officielles.
« …où le revenu moyen ne dépasse pas 22.000 francs C.F.A. »
— Bastian, 1961
Le PIB par habitant, oscillant entre 90 et 120 USD/an, est le reflet d’une économie rurale de subsistance, caractérisée par une pauvreté et des inégalités structurelles héritées du colonialisme.
4. Le rendez-vous manqué des réformes structurelles
Après l’indépendance, Madagascar n’a jamais su, ni pu, s’extirper de ce modèle économique archaïque. Faute de réformes structurelles ambitieuses et soutenues (modernisation de l’agriculture, industrialisation, réforme fiscale, diversification économique), le pays s’est progressivement enlisé dans une pauvreté chronique. Les différentes tentatives de modernisation ont échoué ou sont restées marginales, aggravant la vulnérabilité de l’économie aux chocs extérieurs (prix des matières premières, crises climatiques, instabilité politique).
Aujourd’hui, la faiblesse du tissu industriel, la dépendance aux exportations agricoles, la fiscalité inefficace et le faible revenu par habitant demeurent des traits persistants, hérités d’une histoire économique marquée par l’inertie et l’incapacité à s’engager dans des transformations profondes. Cette situation s’explique par la succession de politiques inachevées, l’absence de vision industrielle à long terme et la prédominance d’une économie tournée vers l’exportation de matières premières brutes, rendant le pays vulnérable aux aléas des marchés internationaux.
La pauvreté à Madagascar n’est pas une réalité récente ni conjoncturelle : elle est structurelle, enracinée dans l’histoire coloniale, et aggravée par les crises politiques successives qui ont freiné les réformes. Dans les années 80 et 90, le pays a raté les occasions de transformation profonde qui auraient pu changer durablement la trajectoire de son développement. Reconnaître ce constat est un préalable incontournable pour éviter de répéter les erreurs du passé.
Cependant, il convient de souligner que certaines réformes, bien que limitées dans leur portée globale, ont néanmoins produit des effets positifs. L’exemple le plus notable reste celui des zones franches, mises en place à partir des années 1990. Celles-ci ont permis l’émergence d’un tissu industriel spécifique, fortement orienté vers l’exportation, qui contribue aujourd’hui de manière significative à l’économie nationale. Les zones franches ont favorisé la création d’emplois formels, l’augmentation des recettes d’exportation et la diversification relative des activités industrielles, montrant ainsi que des politiques ciblées et cohérentes peuvent impulser un certain dynamisme malgré un contexte général défavorable.
En 2021, Madagascar a amorcé une nouvelle phase de réformes structurelles, soutenue par l’appui budgétaire de la Banque mondiale, conditionné à l’adoption de politiques publiques visant à renforcer la productivité de l’économie nationale. Cette démarche marque une volonté de rompre avec l’immobilisme antérieur, en engageant le pays sur la voie d’une transformation profonde de ses fondamentaux économiques.
Parmi les mesures emblématiques de cette dynamique figurent la révision du code d’investissement et l’élaboration d’un nouveau code minier, cherchant à concilier l’augmentation des recettes fiscales avec l’attractivité du territoire pour les investisseurs étrangers. Par ailleurs, le gouvernement met désormais l’accent sur l’agriculture et le tourisme comme leviers prioritaires de croissance, misant sur leur potentiel de création de valeur ajoutée, de diversification de l’économie et de génération d’emplois. Ces réformes, bien que leur impact soit encore à confirmer à moyen terme, traduisent une volonté d’inscrire Madagascar dans une trajectoire de développement plus soutenue et inclusive.
Références :
Jean Defos du Rau, « La situation économique de Madagascar », Cahiers d’outre-mer, 1959, pp. 174-209
Georges Bastian, « La politique économique de la République malgache », Cahiers d’outre-mer, 1961, pp. 323-338
Eco 1950-1990.pdf, section sur la croissance et la structure sectorielle dans les années 1960
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